Le Bouard Avocats
La question de la déductibilité des sommes versées en exécution d’une garantie de passif suscite régulièrement des divergences d’interprétation, tant en doctrine qu’en jurisprudence. L’arrêt rendu le 22 novembre 2024 par la cour administrative d’appel de Paris (n° 23PA03107) offre une clarification bienvenue sur la qualification fiscale de ces versements. En validant leur déduction du résultat imposable, la juridiction conforte une lecture cohérente des articles 38 et 39 du code général des impôts.
Cette décision revêt une importance pratique notable, tant pour les praticiens du droit fiscal que pour les entreprises confrontées à des restructurations impliquant la cession de titres et la mise en œuvre de conventions de garantie.
La garantie de passif, présente dans la majorité des protocoles de cession d’actions ou de parts sociales, vise à prémunir l’acquéreur contre des éléments de passif ou des dépréciations d’actif dont la cause serait antérieure à la date de cession mais dont la réalisation est incertaine au jour de la vente.
Ce mécanisme n’est pas sans incidence fiscale : lorsque la garantie est mise en œuvre, les sommes versées par le cédant à l’acquéreur peuvent être traitées soit comme un ajustement du prix de cession des titres, soit comme une charge déductible, selon leur nature et les circonstances de leur exécution.
La distinction est essentielle car elle détermine l’assiette de la plus-value de cession, soumise à un régime distinct du résultat courant imposable selon l’article 219 du CGI. Pour toutes questions sur les garanties de passif, il est recommandé de prendre rendez-vous et de consulter un avocat en droit commercial et des sociétés.
A lire : rachat de parts et comte courant d'un associé
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 novembre 2024, la société Famm avait cédé des titres de participation dans plusieurs entités du groupe Weave à la société 3W Investissement. Parallèlement à cette cession, une convention de garantie de passif avait été conclue, prévoyant notamment une garantie spécifique liée à des créances douteuses de l’une des filiales cédées.
Le protocole prévoyait que ces créances seraient considérées comme irrécouvrables si elles n’étaient pas réglées cinq mois après la date de signature. À cette échéance, et conformément à la clause de garantie, la société Famm avait versé la somme de 416 970,72 euros à l’acquéreur.
L’administration fiscale, à l’issue d’une vérification de comptabilité, avait remis en cause la déductibilité de cette charge. Selon elle, le versement constituait un frais inhérent à la cession des titres et devait venir en déduction du prix de cession, impactant ainsi la plus-value réalisée.
En conséquence, l’administration avait réintégré la charge dans le résultat fiscal et notifié un redressement à hauteur de 143 488 euros. Ce raisonnement a été suivi en première instance par le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté la demande de décharge.
La cour d’appel adopte une position inverse. Elle constate d’abord que la réalisation du risque garanti n’était pas certaine au jour de la cession. L’échéance contractuelle (30 novembre 2014) constituait un terme suspensif, à l’issue duquel seulement les créances en cause pouvaient être considérées comme définitivement irrécouvrables.
Ce caractère aléatoire est déterminant : il démontre que la somme versée n’était pas intégrée de facto au prix de cession et ne constituait donc pas un ajustement de celui-ci.
En d’autres termes, l’existence d’un aléa réel et effectif entre la cession et la mise en œuvre de la garantie est de nature à faire échec à la qualification de frais de cession.
La cour souligne que la somme litigieuse avait été versée en exécution d’une garantie contractuelle autonome, et non dans le cadre d’un avenant ou d’une clause de révision du prix. Ce point est fondamental : une révision du prix de cession supposerait que le montant initial puisse être modifié rétroactivement en fonction de la réalisation d’un événement prédéterminé affectant la valorisation de l’actif cédé.
En l’espèce, la clause de garantie ne visait pas une évaluation du prix mais la prise en charge d’un passif éventuel, ce qui exclut toute assimilation avec une modalité du prix de vente.
La cour valide donc la position du contribuable et juge que la somme versée constituait bien une charge déductible, au sens de l’article 39-1 du CGI.
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris confirme une tendance jurisprudentielle constante, déjà exprimée dans des décisions antérieures rendues par les CAA de Douai et de Paris, qui reconnaissent la déductibilité des sommes versées en exécution d’une garantie de passif, sous réserve de certaines conditions.
Pour que la charge soit fiscalement déductible, plusieurs critères doivent être remplis :
En l’absence de l’un de ces éléments, l’administration pourrait être fondée à qualifier la somme de frais inhérents à la cession, non déductibles du résultat courant.
Cet arrêt confirme l’importance de la rédaction contractuelle dans les opérations de cession de titres. Les praticiens devront veiller à :
La distinction est subtile mais déterminante sur le plan fiscal.
En cas de remise en cause par l’administration, la société contribuable devra être en mesure de démontrer :
La documentation contractuelle et comptable sera alors cruciale pour soutenir la qualification de charge.