April 9, 2025

Le Bouard Avocats

Sommes versées au titre d'une garantie de passif : une charge déductible du résultat imposable

Ce qu’il faut retenir sur les sommes versées dans le cadre d'une garantie de passif

  • Les sommes versées en exécution d’une garantie de passif peuvent constituer une charge déductible du résultat imposable, à condition que leur versement ne soit pas assimilable à une révision du prix de cession.
  • Cette déductibilité suppose l’existence d’un aléa réel, ainsi que l’indépendance contractuelle entre la clause de garantie et le prix de cession.
  • L’arrêt du 22 novembre 2024 confirme que l’interprétation de l’administration fiscale peut être écartée lorsque ces conditions sont réunies.
  • Les rédacteurs de protocoles de cession et les fiscalistes doivent veiller à sécuriser la qualification juridique et fiscale des garanties contractuelles pour éviter toute requalification.

La question de la déductibilité des sommes versées en exécution d’une garantie de passif suscite régulièrement des divergences d’interprétation, tant en doctrine qu’en jurisprudence. L’arrêt rendu le 22 novembre 2024 par la cour administrative d’appel de Paris (n° 23PA03107) offre une clarification bienvenue sur la qualification fiscale de ces versements. En validant leur déduction du résultat imposable, la juridiction conforte une lecture cohérente des articles 38 et 39 du code général des impôts.

Cette décision revêt une importance pratique notable, tant pour les praticiens du droit fiscal que pour les entreprises confrontées à des restructurations impliquant la cession de titres et la mise en œuvre de conventions de garantie.

Qualification comptable et fiscale des garanties de passif : un enjeu central en matière de cession de titres

Une garantie de passif n’est pas une simple clause accessoire

La garantie de passif, présente dans la majorité des protocoles de cession d’actions ou de parts sociales, vise à prémunir l’acquéreur contre des éléments de passif ou des dépréciations d’actif dont la cause serait antérieure à la date de cession mais dont la réalisation est incertaine au jour de la vente.

Ce mécanisme n’est pas sans incidence fiscale : lorsque la garantie est mise en œuvre, les sommes versées par le cédant à l’acquéreur peuvent être traitées soit comme un ajustement du prix de cession des titres, soit comme une charge déductible, selon leur nature et les circonstances de leur exécution.

La distinction est essentielle car elle détermine l’assiette de la plus-value de cession, soumise à un régime distinct du résultat courant imposable selon l’article 219 du CGI. Pour toutes questions sur les garanties de passif, il est recommandé de prendre rendez-vous et de consulter un avocat en droit commercial et des sociétés.

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Une convention clairement rédigée et un aléa suffisant : conditions posées par la jurisprudence

Les faits à l’origine du litige

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 novembre 2024, la société Famm avait cédé des titres de participation dans plusieurs entités du groupe Weave à la société 3W Investissement. Parallèlement à cette cession, une convention de garantie de passif avait été conclue, prévoyant notamment une garantie spécifique liée à des créances douteuses de l’une des filiales cédées.

Le protocole prévoyait que ces créances seraient considérées comme irrécouvrables si elles n’étaient pas réglées cinq mois après la date de signature. À cette échéance, et conformément à la clause de garantie, la société Famm avait versé la somme de 416 970,72 euros à l’acquéreur.

Le rejet initial de la déductibilité par l’administration fiscale

L’administration fiscale, à l’issue d’une vérification de comptabilité, avait remis en cause la déductibilité de cette charge. Selon elle, le versement constituait un frais inhérent à la cession des titres et devait venir en déduction du prix de cession, impactant ainsi la plus-value réalisée.

En conséquence, l’administration avait réintégré la charge dans le résultat fiscal et notifié un redressement à hauteur de 143 488 euros. Ce raisonnement a été suivi en première instance par le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté la demande de décharge.

L’analyse juridique de la cour administrative d’appel de Paris

Un versement lié à un aléa postérieur à la cession

La cour d’appel adopte une position inverse. Elle constate d’abord que la réalisation du risque garanti n’était pas certaine au jour de la cession. L’échéance contractuelle (30 novembre 2014) constituait un terme suspensif, à l’issue duquel seulement les créances en cause pouvaient être considérées comme définitivement irrécouvrables.

Ce caractère aléatoire est déterminant : il démontre que la somme versée n’était pas intégrée de facto au prix de cession et ne constituait donc pas un ajustement de celui-ci.

En d’autres termes, l’existence d’un aléa réel et effectif entre la cession et la mise en œuvre de la garantie est de nature à faire échec à la qualification de frais de cession.

Une convention indépendante du prix de cession

La cour souligne que la somme litigieuse avait été versée en exécution d’une garantie contractuelle autonome, et non dans le cadre d’un avenant ou d’une clause de révision du prix. Ce point est fondamental : une révision du prix de cession supposerait que le montant initial puisse être modifié rétroactivement en fonction de la réalisation d’un événement prédéterminé affectant la valorisation de l’actif cédé.

En l’espèce, la clause de garantie ne visait pas une évaluation du prix mais la prise en charge d’un passif éventuel, ce qui exclut toute assimilation avec une modalité du prix de vente.

La cour valide donc la position du contribuable et juge que la somme versée constituait bien une charge déductible, au sens de l’article 39-1 du CGI.

L’enseignement de l’arrêt : conditions de déductibilité des versements au titre d’une garantie de passif

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris confirme une tendance jurisprudentielle constante, déjà exprimée dans des décisions antérieures rendues par les CAA de Douai et de Paris, qui reconnaissent la déductibilité des sommes versées en exécution d’une garantie de passif, sous réserve de certaines conditions.

Les conditions dégagées par la jurisprudence

Pour que la charge soit fiscalement déductible, plusieurs critères doivent être remplis :

  • L’existence d’une convention formalisée, annexée au protocole de cession, détaillant les engagements du cédant ;
  • La présence d’un aléa, c’est-à-dire d’un événement incertain quant à sa réalisation ou à son montant ;
  • Une mise en œuvre postérieure à la cession, par une exécution effective de la clause de garantie, en dehors du mécanisme de fixation du prix ;
  • L’absence de lien direct avec l’évaluation du prix des titres, qui exclurait la nature de charge au profit d’un simple ajustement du prix de cession.

En l’absence de l’un de ces éléments, l’administration pourrait être fondée à qualifier la somme de frais inhérents à la cession, non déductibles du résultat courant.

Incidences pratiques pour les entreprises et les praticiens

La nécessité d’une rédaction rigoureuse des clauses de garantie

Cet arrêt confirme l’importance de la rédaction contractuelle dans les opérations de cession de titres. Les praticiens devront veiller à :

  • Préciser clairement le mécanisme de déclenchement de la garantie ;
  • Déterminer un calendrier de mise en œuvre distinct de la date de cession ;
  • Éviter toute confusion entre ajustement du prix et prise en charge d’un passif éventuel.

La distinction est subtile mais déterminante sur le plan fiscal.

Une stratégie de défense lors des vérifications de comptabilité

En cas de remise en cause par l’administration, la société contribuable devra être en mesure de démontrer :

  • L’absence de certitude quant à la réalisation du risque au jour de la vente ;
  • Le rôle économique indépendant de la garantie dans l’opération globale ;
  • La non-imputation de la somme sur le prix de cession initial.

La documentation contractuelle et comptable sera alors cruciale pour soutenir la qualification de charge.