January 13, 2025

Le Bouard Avocats

Attributions gratuites d’actions : un régime distinct de l’augmentation

La question de l’augmentation de capital se pose régulièrement dans les sociétés par actions, notamment lorsque l’assemblée générale extraordinaire (AGE) décide de déléguer ses pouvoirs au conseil d’administration ou au directoire. Le Code de commerce prévoit alors l’établissement d’un rapport complémentaire afin d’informer les actionnaires sur les conditions définitives de l’opération. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas en matière d’attributions gratuites d’actions (AGA) à émettre, car celles-ci obéissent à un régime autonome, distinct de celui des augmentations de capital avec délégation. Dans cet article, nous examinerons en détail les spécificités juridiques qui justifient cette différence de traitement.

Comprendre la distinction entre les AGA et l’augmentation de capital déléguée

La délégation de compétence ou de pouvoir en cas d’augmentation de capital

L’assemblée générale extraordinaire peut, en vertu du Code de commerce, déléguer au conseil d’administration ou au directoire la possibilité de procéder à une ou plusieurs augmentations de capital. Dans ce cadre, une fois l’opération réalisée, l’organe délégataire doit établir un rapport complémentaire, décrivant :

  • Les conditions définitives de l’augmentation de capital,
  • L’incidence de l’opération sur la situation des actionnaires,
  • Les motifs éventuels de suppression du droit préférentiel de souscription.

Ce document est ensuite mis à la disposition des associés et présenté à la prochaine assemblée générale ordinaire. Il vise à apporter une transparence maximale sur les modalités de l’émission, assurant le respect des droits de chacun.

Vous êtes à la recherche d'un avocat pour une assemblée générale à Versailles ? Contactez Le Bouard Avocats.

L’autonomie juridique des AGA

Les attributions gratuites d’actions (AGA) reposent sur un mécanisme différent. En effet, l’AGE se contente d’autoriser le conseil d’administration ou le directoire à attribuer gratuitement un certain nombre d’actions, de sorte qu’au jour de l’attribution définitive, une augmentation de capital intervient automatiquement. Toutefois, ce pouvoir reconnu à l’assemblée ne correspond pas à une délégation classique : il s’agit plutôt d’un pouvoir d’autorisation, laissant au conseil l’initiative de fixer les conditions (période d’acquisition, période de conservation, critères éventuels) dans un cadre prédéterminé. Ainsi, l’Ansa (Association nationale des sociétés par actions) souligne que l’organe de gestion ne “décide” pas véritablement l’augmentation de capital lors de la levée des conditions, mais se borne à “constater” la réalisation de la levée d’actions.

Les raisons de l’absence de rapport complémentaire pour les AGA

Un régime spécifique prévu par le Code de commerce

Le Code de commerce définit un ensemble de règles propres à l’attribution gratuite d’actions. L’AGE, lorsqu’elle adopte une résolution autorisant les AGA, ne procède pas à une augmentation de capital immédiate : elle ouvre simplement la possibilité d’émettre des actions nouvelles, attribuées gratuitement aux bénéficiaires (salariés ou dirigeants), sous certaines conditions. À l’issue de la période d’acquisition, le conseil d’administration ou le directoire consigne le nombre exact de titres attribués et la date de l’attribution, ce qui entraîne la réalisation définitive de l’augmentation de capital.

Pourquoi ne pas exiger un rapport complémentaire ?

  • Les pouvoirs conférés à l’AGE ne sont pas de la même nature que dans une opération d’augmentation de capital avec délégation : il s’agit d’une autorisation et non d’une délégation large.
  • L’organe exécutif ne décide pas librement des modalités finales, car celles-ci résultent principalement de l’autorisation initiale et du respect des conditions fixées (notamment l’atteinte de certains objectifs ou la simple expiration du délai de vesting).
  • Le conseil se borne à établir un constat de l’événement, sans exercer un pouvoir discrétionnaire de mise en œuvre d’une émission d’actions.

Un contrôle assuré par d’autres rapports

Bien que le rapport complémentaire en cas de délégation de compétence ne s’applique pas, la loi impose tout de même un suivi régulier des AGA. En effet, chaque année, le conseil doit informer l’assemblée générale ordinaire du nombre et de la valeur des actions attribuées gratuitement, de la part du capital que ces actions représentent et des éventuelles conditions non encore réalisées. Cela se matérialise par un rapport spécial qui fournit aux actionnaires une vision claire de l’avancement du plan d’AGA.

Les conséquences pratiques pour la société et les actionnaires

Une augmentation de capital subordonnée à la réalisation de conditions

Dans un régime d’AGA, l’augmentation de capital n’intervient qu’au moment où les bénéficiaires acquièrent définitivement la propriété des actions. Dès lors, la société n’a pas à mobiliser la procédure formelle d’augmentation de capital “classique” :

  • Pas de souscription : contrairement à une augmentation de capital avec droit préférentiel de souscription, les bénéficiaires ne paient pas le prix des actions : la dilution résulte de l’émission gratuite des nouveaux titres.
  • Pas de rapport complémentaire : aucune décision d’émission n’est prise in fine par le conseil, qui ne fait que constater la levée des conditions d’acquisition.

Cette caractéristique se traduit notamment par une simplification formelle et un calendrier plus souple, puisqu’il n’y a pas de droit de souscription ni d’offre au public à gérer.

Une information préservée des actionnaires

Même si l’on ne retrouve pas le rapport complémentaire traditionnel, les associés bénéficient d’une information périodique via le rapport spécial prévu par le Code de commerce. Ce dernier décrit :

  • Le nombre d’actions ayant été attribuées gratuitement,
  • La valeur nominale ou comptable de ces titres,
  • Les conditions de performance ou de présence imposées,
  • L’ampleur de la dilution future éventuelle.

De plus, d’autres formalités de publicité légale existent pour consigner officiellement l’augmentation de capital, comme la mise à jour des statuts et la publication d’un avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc).

Les points de vigilance pour les dirigeants et les praticiens

Limites à l’autonomie du régime des AGA

Bien que l’attribution gratuite d’actions obéisse à un régime autonome, elle n’échappe pas totalement aux exigences de droit commun des sociétés par actions. À titre d’illustration :

  • Les bénéficiaires doivent être déterminés ou déterminables, souvent parmi les salariés ou les dirigeants.
  • Le plafond de capital social pouvant être réservé aux plans d’AGA est fixé par l’assemblée, et peut être encadré par des dispositions légales ou statutaires.
  • Les formalités de publicité, notamment l’inscription au registre du commerce et des sociétés de l’augmentation de capital effective, demeurent incontournables.

Responsabilité du conseil d’administration ou du directoire

Lorsque le conseil ou le directoire met en œuvre une opération d’AGA :

  • Il veille à la transparence des conditions d’attribution (performance, présence, etc.).
  • Il assure le suivi de la période d’acquisition et de la période de conservation éventuelle.
  • Il procède à la rédaction du rapport spécial annuel à l’assemblée générale, détaillant les attributaires et le volume d’actions émises.

Ces obligations, combinées avec la responsabilité civile des dirigeants, exigent une rigueur formelle et une parfaite maîtrise du cadre juridique en vigueur.

Conclusion : un régime spécifique, distinct de l’augmentation de capital sur délégation

L’attribution gratuite d’actions, prévue par le Code de commerce, se révèle un outil privilégié pour fidéliser les salariés et encourager les dirigeants, sans nécessiter la mise en œuvre des formalités complexes d’une augmentation de capital « classique ». L’Ansa confirme ainsi que l’obligation d’établir un rapport complémentaire ne s’applique pas à ces AGA, compte tenu du régime autonome qui leur est reconnu.

Cette autonomisation n’est toutefois pas synonyme d’absence de contrôle. Les organes de gestion doivent suivre des procédures de publicité et rendre compte aux actionnaires de l’exécution des plans d’AGA, ainsi que du volume de titres qui en résulte. En définitive, il appartient à chaque société d’arbitrer entre la souplesse offerte par le dispositif d’AGA et les obligations de transparence voulues par le législateur, afin de mettre en place un plan équilibré, conforme au cadre légal et sécurisé pour l’ensemble des parties prenantes.