February 21, 2025

Le Bouard Avocats

L’exclusivité territoriale en franchise et la concurrence déloyale

Pourquoi la violation d’exclusivité territoriale est-elle un enjeu majeur ?

  • Atteinte aux droits contractuels : Chaque franchisé bénéficie d’une zone protégée, censée le mettre à l’abri de toute prospection active dans son périmètre.
  • Risque de concurrence déloyale : L’article 1240 du Code civil (ex-1382) sert de fondement pour condamner le démarchage ciblé sur un territoire réservé.
  • Fragilisation du réseau : Un non-respect récurrent de la clause d’exclusivité peut nuire à la cohésion entre franchisés et porter atteinte à la réputation de l’enseigne.

Comprendre la notion d’exclusivité territoriale

Définition et portée de l’exclusivité

Dans un contrat de franchise, l’exclusivité territoriale consiste à réserver à un franchisé un secteur géographique précis au sein duquel aucun autre membre du réseau ne peut prospecter activement la clientèle. Selon l’article 1240 du Code civil (anciennement 1382), la violation de cette exclusivité peut être sanctionnée au titre de la responsabilité civile en cas de faute.

Différence entre ventes actives et passives

Pour déterminer si un franchisé enfreint l’exclusivité territoriale d’un autre, il convient de distinguer :

  • Ventes passives : le franchisé répond aux demandes spontanées de clients extérieurs à son territoire.
  • Ventes actives : le franchisé entreprend un démarchage ciblé vers une clientèle située en dehors de son secteur, par exemple en distribuant des prospectus, en installant des panneaux publicitaires ou en procédant à du publipostage systématique.

La clause d’exclusivité territoriale ne peut interdire les ventes passives, qui relèvent de la libre concurrence. Elle peut, en revanche, restreindre sévèrement les ventes actives dans la zone réservée à un autre franchisé.

Violation de l’exclusivité territoriale et concurrence déloyale

Le fondement juridique de l’action

Lorsqu’un franchisé outrepasse les limites de sa zone d’exclusivité, il commet une faute de nature à engager sa responsabilité. En droit français, c’est l’article 1240 du Code civil qui sert de fondement. Ce texte prévoit que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

L’inobservation d’une clause d’exclusivité constitue ainsi :

  1. Une faute, puisqu’elle viole les obligations contractuelles et morales du réseau.
  2. Un préjudice, potentiellement constitué par la perte de clients ou la baisse de chiffre d’affaires du franchisé victime.
  3. Un lien de causalité, dès lors que le démarchage cible précisément la clientèle située dans un territoire réputé protégé.

L’interprétation stricte du démarchage actif par la jurisprudence

La Cour de cassation considère que le simple fait de déposer des prospectus dans les boîtes aux lettres d’un territoire attribué à un autre franchisé s’analyse comme un acte de démarchage actif, et non comme une forme de publicité générale. Cette position souligne la rigueur des juges envers toute manœuvre visant à conquérir un public censé être protégé par la clause d’exclusivité.

Exemple récent d’une sanction judiciaire

Dans une affaire où un franchisé distribuait ses tracts sur le territoire exclusif d’un autre membre du réseau, la Cour de cassation a cassé la décision d’appel qui estimait qu’il n’existait pas de démarchage individuel. Les hauts magistrats ont rappelé que le fait de viser l’ensemble des boîtes aux lettres de la zone en question constituait bel et bien un ciblage territorial, donc une violation manifeste de l’exclusivité.

contrat de franchise et exclusivité

A lire : Le dol en franchise : obligations d’information et conséquences juridiques

Les critères de validité de la clause d’exclusivité territoriale

Conformité au droit de la concurrence

Les clauses d’exclusivité territoriale doivent être rédigées en respectant le droit des ententes (articles L.420‑1 du Code de commerce et 101 du TFUE). Elles sont généralement admises si :

  • Elles n’empêchent pas la clientèle extérieure de s’adresser spontanément à un autre franchisé.
  • Elles interdisent uniquement les actions de prospection active hors du secteur accordé.

Interdictions disproportionnées

En revanche, lorsqu’une clause tente de limiter l’accès à tout client potentiel – y compris en dehors du territoire – ou impose une interdiction absolue de ventes dites passives, elle peut être considérée comme excessive. Les tribunaux procèdent alors à un contrôle de proportionnalité : ils vérifient que l’interdiction ne freine pas indûment la concurrence.

Les conséquences pratiques pour les franchisés

Risques encourus en cas de violation

Lorsqu’une juridiction constate la violation de l’exclusivité territoriale au préjudice d’un franchisé, plusieurs sanctions sont envisageables :

  1. Cessation immédiate des actes de démarchage actif sur le territoire en question.
  2. Dommages-intérêts destinés à compenser la perte de clientèle ou le trouble dans l’exploitation.
  3. Clause pénale, si prévue dans le contrat de franchise, pouvant aggraver la sanction financière.
  4. Mesures conservatoires, par exemple l’interdiction provisoire de réaliser certaines campagnes publicitaires jugées déloyales (article 873 du Code de procédure civile).

Rôle du franchiseur dans la prévention des litiges

Le franchiseur doit veiller à une répartition équitable des territoires et garantir à chacun de ses franchisés le respect des clauses d’exclusivité. À ce titre, il lui incombe :

  • D’informer clairement les membres du réseau sur la portée de l’exclusivité territoriale.
  • De contrôler les pratiques commerciales, de manière à éviter la multiplication des conflits.
  • D’intervenir en amont afin de sanctionner rapidement les comportements fautifs et protéger la cohésion interne du réseau.

A lire : quelles sont les clauses sensibles dans un contrat de franchise ?

Comment éviter la concurrence déloyale au sein d’un réseau

Respecter la distinction entre ventes actives et passives

Le franchisé souhaitant augmenter sa visibilité doit s’assurer qu’il se limite aux ventes passives en dehors de son territoire. Les envois de mailings, l’installation de panneaux publicitaires ou toute autre forme de démarchage spécifiquement dirigée vers la clientèle d’un autre franchisé constituent une zone de risque avéré.

Mettre en place une stratégie de communication concertée

Afin de ne pas empiéter sur les territoires voisins, un franchisé peut :

  • Collaborer avec les autres membres du réseau pour organiser des campagnes de promotion communes, en veillant à respecter la répartition contractuelle.
  • Diffuser ses messages publicitaires sur des zones géographiques clairement identifiées et conformes à son périmètre.
  • Réviser périodiquement ses supports marketing pour éviter tout ciblage abusif.

Conseils concrets

  • Identifier clairement, dans le contrat de franchise, la zone dédiée et les limites à respecter.
  • Se renseigner sur les méthodes de géociblage en ligne (publicités localisées sur internet).
  • Échanger avec le franchiseur pour valider toute communication ciblant éventuellement un secteur frontalier à la zone d’exclusivité.

Focus sur la procédure judiciaire en cas de trouble

Le référé pour faire cesser le démarchage

Si la victime constate un acte de démarchage active sur son secteur, elle peut saisir en urgence le président du tribunal de commerce sur le fondement de l’article 873 du Code de procédure civile. Cela permet d’obtenir, à titre conservatoire :

  • Une interdiction immédiate de poursuivre la prospection litigieuse.
  • Une astreinte pour contraindre le franchisé à s’y conformer rapidement.

L’action au fond pour engager la responsabilité

Parallèlement ou ultérieurement, le franchisé lésé peut engager une action en responsabilité civile fondée sur l’article 1240 du Code civil. Il lui faudra alors prouver :

  • La réalité de la clause d’exclusivité.
  • Les actes précis de démarchage effectués sur son territoire.
  • Le lien de causalité entre ces actes et le dommage subi (baisse de fréquentation, trouble dans l’exploitation, etc.).

A lire : quelles sont les clauses à insérer dans un contrat commercial ?

Conclusion : préserver l’équilibre d’un réseau de franchise

La violation de l’exclusivité territoriale demeure l’une des principales sources de litiges entre franchisés. Les tribunaux adoptent une position ferme, estimant que tout franchisé ciblant la clientèle d’un autre sur son territoire exclusif commet un acte de concurrence déloyale. Le simple dépôt de prospectus dans la zone protégée est déjà perçu comme un démarchage actif prohibé, peu importe l’absence de référence explicite à l’autre franchisé.

La clause d’exclusivité territoriale, si elle est régulièrement mise en œuvre et conforme aux règles antitrust, permet de garantir une certaine harmonie dans le réseau. En contrepartie, elle exige de chaque membre le respect rigoureux des limites fixées. Les ventes passives sont autorisées, mais toute action spécifique visant la clientèle d’un autre franchisé constitue une faute. Le franchiseur, pour sa part, doit veiller à la bonne application de ces règles et à la cohésion de son réseau en sanctionnant rapidement les pratiques déloyales.

Ainsi, la vigilance demeure le maître-mot : chaque franchisé doit calibrer ses campagnes publicitaires en tenant compte de sa zone contractuelle, tandis que le franchiseur doit surveiller l’activité de l’ensemble du réseau pour éviter toute dérive. Cette précaution permet de préserver la notoriété de la marque, la confiance mutuelle des membres et, en définitive, la réussite durable du concept franchisé.