January 28, 2025

Le Bouard Avocats

Retard de paiement : quelle portée pour le “montant dû” en droit commercial ?

A retenir : la portée du “montant dû” en cas de retard de paiement
  • Un champ élargi du “montant dû” : Au-delà du prix principal, la CJUE inclut les frais accessoires et charges que le débiteur s’est engagé à rembourser.
  • Une protection renforcée pour le créancier : Les intérêts de retard et l’indemnité de 40 € peuvent désormais viser toutes les sommes liées à l’exécution du contrat.
  • Une exigence de clarté contractuelle : Pour éviter tout litige, chaque poste de dépense doit être mentionné et facturé afin de justifier le recours aux dispositions légales.
  • Le retard de paiement constitue un sujet de préoccupation constant pour les professionnels, qu’ils soient fournisseurs de biens, prestataires de services ou simples créanciers dans le cadre d'une relation commerciale. Face à l’allongement intempestif des délais, les pouvoirs publics européens ont élaboré un arsenal législatif visant à garantir le paiement ponctuel des factures, au rang duquel figure la **directive 2011/7/UE

    Le retard de paiement dans les transactions commerciales : un enjeu majeur pour les entreprises

    Le retard de paiement constitue un sujet de préoccupation constant pour les professionnels, qu’ils soient fournisseurs de biens, prestataires de services ou simples créanciers dans le cadre d'une relation commerciale. Face à l’allongement intempestif des délais, les pouvoirs publics européens ont élaboré un arsenal législatif visant à garantir le paiement ponctuel des factures, au rang duquel figure la directive 2011/7/UE du 16 février 2011. Celle-ci vise à préserver la compétitivité des entreprises et à décourager les comportements conduisant à des défaillances en chaîne.

    Dans un arrêt du 12 décembre 2024 (aff. C-725/23), la CJUE a clarifié la notion de montant dû, affirmant que ce terme inclut non seulement le principal en rémunération de la prestation, mais également certaines sommes accessoires que le débiteur s’est engagé à rembourser. Ainsi, lorsqu’un contrat met à la charge de l’entreprise cocontractante divers coûts liés à l’exécution de la prestation (charges, frais annexes), ces montants peuvent être réclamés en cas de retard de paiement, ouvrant droit aux intérêts moratoires et à l’indemnité forfaitaire de 40 euros.

    Un cadre juridique renforcé : la directive 2011/7/UE et son champ d’application

    La directive 2011/7/UE s’applique à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales, concept défini de façon large à l’article 2, point 1. L’objectif premier demeure la lutte contre les retards de paiement, souvent lourds de conséquences pour la trésorerie des sociétés, en particulier des petites et moyennes structures.

    Principes directeurs de la directive

    • Exiger un paiement rapide : Les délais légaux ou contractuels doivent être rigoureusement respectés, sous peine de générer des intérêts moratoires.
    • Responsabiliser le débiteur : Sitôt qu’il y a manquement, le créancier peut réclamer des intérêts de plein droit, sans rappel formel obligatoire.
    • Protéger la stabilité financière : L’intention du législateur européen consiste à renforcer la compétitivité et à prévenir les mauvaises pratiques de certains clients en retardant systématiquement leurs règlements.

    Retard de paiement

    Transposition dans le droit français : article L. 441-10 du Code de commerce

    Dans l’ordre juridique français, la directive est transposée notamment à l’article L. 441-10 du Code de commerce, qui encadre fermement les délais de paiement :

    • Les intérêts de retard courent dès le lendemain de l’échéance.
    • En cas de retard de paiement, le créancier peut ajouter l’indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement de la créance.
    • La possibilité de demander une indemnisation complémentaire demeure si les frais de recouvrement dépassent ce forfait.

    Le montant dû : la position clarifiée par la CJUE

    Dans son arrêt du 12 décembre 2024, la CJUE a apporté un éclairage majeur : la notion de montant dû s’étend au-delà de la seule rémunération de la prestation principale. Autrement dit, si un contrat stipule la prise en charge par le débiteur de divers coûts accessoires (taxes, charges, factures d’électricité…), ces éléments tombent dans le champ d’application de la directive 2011/7/UE.

    Les faits à l’origine de l’affaire (C-725/23)

    • Une entreprise immobilière polonaise, en qualité de bailleur, facturait non seulement un loyer, mais aussi des charges locatives : chauffage, gaz, électricité, et d’autres frais divers.
    • Le locataire n’ayant pas honoré ces factures, l’entreprise a saisi la juridiction polonaise compétente pour recouvrer l’intégralité des sommes impayées.
    • Le point litigieux portait sur la question de savoir si ces frais annexes étaient inclus dans la définition de « montant dû » au sens de la directive 2011/7/UE, permettant de les assujettir aux intérêts moratoires et à l’indemnité forfaitaire.

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    Étendue de la notion de montant dû

    La CJUE a jugé que :

    • Le texte de la directive vise explicitement le « montant principal » mais ajoute les taxes, droits, redevances ou charges applicables figurant sur la facture.
    • Les considérations d’efficacité imposent d’inclure également les frais connexes que le débiteur s’était engagé par contrat à rembourser, sinon cela offrirait un moyen de contourner la protection attendue par la directive en cloisonnant factures et frais accessoires.
    • La finalité d’éviter le retard de paiement doit prévaloir : l’entreprise ne saurait être pénalisée si elle avance des coûts au bénéfice du débiteur, lequel ne régularise pas les sommes dues dans les délais.

    Conséquences pour les créanciers :

    • Possibilité de réclamer intérêts de retard dès l’échéance, y compris sur les sommes dites « accessoires » liées à l’exécution de la transaction (p. ex. charges, taxes).
    • Droit à l’indemnité forfaitaire de 40 euros par facture impayée.
    • En cas de frais de recouvrement supérieurs à ce forfait, le créancier peut solliciter une indemnisation complémentaire.

    Lutte contre les retards de paiement : un équilibre nécessaire

    Si la directive 2011/7/UE et la jurisprudence récente de la CJUE renforcent la position du créancier, il demeure indispensable de maintenir un équilibre au sein des relations commerciales. Les entreprises doivent :

    • Négocier clairement leurs contrats, en explicitant la répartition des frais et charges divers, de sorte à éviter tout litige ultérieur.
    • Facturer régulièrement et mettre à jour les dates d’échéance pour chaque somme due, principale ou accessoire.
    • Recourir en dernier ressort à la voie juridictionnelle (avec intérêts de retard) lorsque la négociation amiable échoue.

    Pourquoi cette clarification est importante

    1. Préserver la trésorerie des créanciers : Les coûts que l’entreprise avance pour le compte de son cocontractant (p. ex. électricité, eau, impôts locaux) peuvent peser lourd sur sa trésorerie si la facture demeure impayée.
    2. Décourager les abus : Le débiteur ne peut s’exonérer de son obligation sur le fondement que ces frais ne relèveraient pas de la prestation principale.
    3. Sécuriser les pratiques commerciales : En assurant la possibilité de réclamer des intérêts, la cour de justice vise à combattre les retards de paiement systématiques, à l’origine d’importantes difficultés économiques.

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    Vérifier la rédaction des contrats

    • Définir clairement la prestation principale et les frais accessoires : charges, taxes, redevances, etc.
    • Insérer des clauses précises sur l’échéance et le mode de facturation.
    • Prévoir la mention que ces sommes accessoires constituent une partie du « montant dû » en cas de retard de paiement.

    Gérer la facturation et la comptabilité

    • Lister distinctement dans la facture le montant principal (remboursement de la prestation) et les frais annexes (coûts supportés par le créancier).
    • Appliquer le même délai de règlement pour ces différents postes, de manière à ce qu’ils soient exigibles simultanément.
    • Archiver soigneusement les pièces justifiant chaque dépense : quittances de taxes, factures d’électricité…

    Réagir face à l’impayé

    • Relancer rapidement le débiteur, en lui rappelant la directive 2011/7/UE et l’article L. 441-10 du Code de commerce.
    • Calculer précisément les intérêts de retard : taux légal ou conventionnel, selon la période de retard et le capital concerné.
    • Ajouter l’indemnité forfaitaire de 40 euros par facture, si la somme n’a pas été réglée à la date convenue.
    • Envisager une action en justice devant la juridiction compétente (ou conseil de prud’hommes si c’est un litige de nature sociale), dès lors que les négociations ou les rappels échouent.

    Conclusion : vers une protection accrue du créancier face au retard de paiement

    Le récent arrêt de la CJUE souligne que le montant dû dans les transactions commerciales inclut aussi les sommes que le débiteur s’est contractuellement engagé à supporter, au-delà du seul prix principal. Cette interprétation protectrice assure que le créancier ne reste pas captif d’un contrat où il avancerait, par exemple, des charges locatives ou des taxes ultérieurement impayées.

    Grâce à cette clarification, les entreprises disposent d’un argument supplémentaire pour sécuriser leurs flux de trésorerie : la possibilité de réclamer des intérêts de retard et la fameuse indemnité de 40 euros pour chaque facture non acquittée dans les délais. Elles veilleront cependant à respecter la procédure légale : entretien de la transparence contractuelle, mention des échéances et cohérence avec les dispositions de l’article L. 441-10 du Code de commerce.

    En pratique, cette décision incite chacun à la prudence. Le débiteur, désormais conscient qu’il ne peut éluder ses obligations accessoires en prétextant un défaut de prestation principale, sera moins enclin à retarder abusivement ses paiements. Le créancier, de son côté, renforcera la bonne rédaction de ses contrats et la vigilance sur la facturation, anticipant l’envoi rapide de relances en cas d’impayé. L’enjeu global est de fluidifier les relations commerciales, de limiter les tensions dans la supply chain et, in fine, d’éviter des litiges longuement instruits devant les tribunaux.

    Cette évolution jurisprudentielle illustre la détermination du législateur et de la Cour de justice à lutter contre le retard de paiement, ce fléau qui mine la rentabilité et la compétitivité de nombreuses entreprises. Elle rappelle également que les obligations contractuelles ne se réduisent pas à la simple contrepartie financière, mais englobent tout engagement repris dans la convention, quitte à exposer le débiteur à des intérêts moratoires lorsqu’il néglige de remplir ses engagements accessoires.