Le Bouard Avocats
Lorsque la liquidation judiciaire d’une entreprise est prononcée, la question de la responsabilité du dirigeant se pose avec acuité. L’article L. 651-2 du Code de commerce prévoit que si une faute de gestion a contribué à l’insuffisance d’actif de la société, le tribunal peut décider que le dirigeant en supportera tout ou partie.
Toutefois, une augmentation des dettes sociales ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une faute de gestion engageant la responsabilité du dirigeant. La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 décembre 2024, a rappelé ce principe fondamental [[Cass. com., 11-12-2024, n° 23-19.807]].
Dès lors, quelles sont les conditions dans lesquelles un dirigeant peut être condamné à combler le passif social ? Quels critères doivent être réunis pour engager sa responsabilité ? Cet article explore en détail les principes applicables et les nuances jurisprudentielles en la matière.
L’article L. 651-2 du Code de commerce constitue le fondement juridique permettant d’engager la responsabilité d’un dirigeant en cas de liquidation judiciaire. Il dispose que :
« Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance, décider que le montant en sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux. »
Cette disposition a pour objectif de prévenir les abus, en sanctionnant les dirigeants ayant adopté un comportement fautif ayant aggravé la situation financière de l’entreprise.
Pour que la responsabilité du dirigeant soit engagée, il ne suffit pas que la société soit en insuffisance d’actif. Il faut démontrer une faute de gestion ayant directement contribué à cet état.
La jurisprudence a dégagé plusieurs exemples de fautes caractérisées :
✔ Une comptabilité irrégulière ou fictive ayant empêché toute visibilité sur la situation réelle de la société.
✔ Une augmentation volontairement excessive des charges sociales et fiscales, sans stratégie de redressement viable.
✔ Une absence de déclaration de cessation des paiements dans les délais légaux, empêchant une restructuration précoce.
✔ Une confusion entre patrimoine personnel et celui de la société, rendant impossible l’évaluation des actifs réels de l’entreprise.
Ainsi, la simple augmentation des dettes ne suffit pas à elle seule à établir une faute de gestion. Il appartient au liquidateur judiciaire de démontrer un comportement fautif du dirigeant ayant aggravé la situation de la société.
A lire : quelles sont les différences entre liquidation judiciaire et liquidation amiable ?
L’arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2024 rappelle que la poursuite d’une activité déficitaire ne peut être retenue comme une faute sur le seul fondement de l’augmentation des dettes sociales [[Cass. com., 11-12-2024, n° 23-19.807]].
En effet, une entreprise peut voir son passif augmenter tout en maintenant une activité viable si son actif progresse simultanément. Une entreprise en croissance peut accumuler des dettes liées à des investissements nécessaires pour se développer, ce qui ne traduit pas forcément une gestion défaillante.
Ainsi, l’appréciation du caractère fautif de la gestion repose sur une analyse approfondie de la situation financière globale de la société et non sur un simple constat d’augmentation du passif.
Un autre point important précisé par la jurisprudence est que la faute de gestion ne suppose pas nécessairement un état de cessation des paiements préexistant [[Cass. com., 29-06-2022, n° 21-12.998]]. Toutefois, elle exige une conscience de l’impossibilité de redresser la situation ou une persévérance abusive dans une activité condamnée à l’échec.
Ainsi, une entreprise endettée n’est pas forcément mal gérée. Il appartient aux juges d’examiner si le dirigeant a adopté des mesures adaptées pour tenter de redresser la situation.
A lire : Comblement du passif et responsabilité des dirigeants en liquidation judiciaire
Si la faute de gestion est caractérisée, le dirigeant peut être condamné à combler tout ou partie de l’insuffisance d’actif. Cette sanction vise à éviter qu’un dirigeant ne prenne des risques excessifs en sachant qu’il ne sera pas tenu personnellement des dettes sociales.
La décision du tribunal dépend de plusieurs critères :
✔ L’ampleur de la faute et son impact sur l’aggravation du passif.
✔ L’existence d’un comportement frauduleux ou d’une gestion manifestement abusive.
✔ La capacité du dirigeant à rembourser, afin de ne pas le priver de toute possibilité de rebond professionnel.
Outre le comblement du passif, le dirigeant fautif peut faire l’objet de sanctions personnelles, notamment :
Ces sanctions ne sont prononcées que si la gestion déficitaire a été abusive, menée dans un intérêt personnel du dirigeant, et si elle ne pouvait qu’aboutir à la cessation des paiements.
A lire : Quel est le rôle de l'avocat en cas de redressement ou de liquidation judiciaire
L’arrêt de la Cour de cassation du 11 décembre 2024 rappelle un principe fondamental : l’augmentation des dettes sociales ne constitue pas, en soi, une faute de gestion. La poursuite d’une activité déficitaire doit être analysée à l’aune de plusieurs critères, notamment la capacité de redressement de la société et la conscience du dirigeant quant à l’issue inéluctable de la faillite.
Les tribunaux doivent donc apprécier chaque situation au cas par cas, en vérifiant si le dirigeant a mis en place des mesures adaptées pour redresser l’entreprise ou s’il a persévéré dans une gestion irrationnelle et nuisible.
En cas de doute sur la gestion d’une société en difficulté, il est fortement recommandé aux dirigeants de consulter un avocat spécialisé en droit des sociétés afin d’anticiper les risques et de limiter leur exposition aux sanctions. Une anticipation juridique et stratégique est essentielle pour préserver leurs intérêts et éviter toute mise en cause injustifiée.