Le Bouard Avocats
La résiliation d’un bail commercial soulève souvent des enjeux juridiques complexes, particulièrement lorsque les locaux loués deviennent temporairement inaccessibles. L’article 1722 du Code civil, qui régit la destruction totale ou partielle de la chose louée, constitue une pierre angulaire dans ce type de litiges. Cependant, son application reste délicate, comme en témoigne une récente décision de la Cour d’appel de Paris du 19 septembre 2024 (n° 22/14224), qui vient préciser les conditions dans lesquelles un locataire peut invoquer l’inaccessibilité des locaux pour demander la résiliation anticipée de son bail.
L’article 1722 du Code civil dispose :
"Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix ou la résiliation même du bail."
Ce texte vise à garantir un équilibre entre les droits du bailleur et ceux du preneur. Il distingue deux situations :
Toutefois, pour invoquer ces dispositions, le locataire doit démontrer que les conditions prévues par la loi sont remplies.
Dans l’affaire examinée par la Cour d’appel de Paris, un incendie survenu le 13 janvier 2019 sur un terrain jouxtant les locaux commerciaux loués a provoqué une pollution par des fibres d’amiante. Le bailleur, soucieux de préserver la santé des occupants, a demandé au locataire d’évacuer les lieux jusqu’à la réalisation des travaux de désamiantage.
Les travaux, commencés rapidement, ont été achevés entre le 7 et le 14 juin 2019. Toutefois, le locataire a estimé que l’impossibilité d’occuper les locaux pendant environ quatre mois constituait une destruction partielle au sens de l’article 1722 du Code civil. Il a ainsi demandé la résiliation du bail avec effet au 31 mai 2019.
La jurisprudence précise que la destruction totale suppose une impossibilité absolue et définitive d’utiliser les locaux conformément à leur destination. Dans ce cas, le bail est automatiquement résilié.
Cependant, la simple inaccessibilité temporaire des lieux, même prolongée, ne peut être assimilée à une destruction totale. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a jugé que le locataire ne pouvait se prévaloir de cette disposition en l’espèce, car les travaux de désamiantage ont permis de rétablir l’usage des locaux en moins de quatre mois.
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La destruction partielle se caractérise par une atteinte substantielle au bien nécessitant des travaux de réparation d’un coût supérieur à la valeur du bien lui-même. Dans cette affaire, les travaux de dépollution ont été évalués à environ 50 000 €, alors que la valeur du bâtiment était estimée à 430 000 €. La Cour en a conclu que les critères de destruction partielle n’étaient pas remplis.
La jurisprudence (Cass. 3e civ. 20 décembre 2018, n° 16-23.449) rappelle également que la vétusté ou l’état délabré d’un bâtiment, rendant celui-ci impropre à sa destination, peut constituer une destruction partielle si les travaux nécessaires atteignent ou excèdent la valeur vénale du bien.
Le locataire a invoqué l’impossibilité temporaire d’utiliser les locaux et l’urgence de trouver d’autres locaux pour poursuivre son activité. Il estimait que cette situation portait gravement atteinte à ses droits et justifiait une résiliation anticipée du bail.
La Cour d’appel de Paris a rejeté cette argumentation. Elle a rappelé que :
Ces éléments démontraient que l’inaccessibilité des locaux était temporaire et ne constituait pas une destruction totale ou partielle au sens de l’article 1722 du Code civil.
Les locataires doivent être prudents avant d’invoquer l’article 1722 du Code civil pour demander la résiliation d’un bail. Cette disposition s’applique uniquement dans des cas exceptionnels où :
Une inaccessibilité temporaire, même prolongée, ne suffit pas. Le locataire doit s’appuyer sur des preuves solides et des rapports techniques pour étayer ses demandes.
Cette décision rappelle aux bailleurs l’importance d’agir avec diligence en cas d’événements exceptionnels, tels qu’un incendie ou une pollution. Ils doivent :
Une gestion proactive de la situation permet de réduire les risques de contentieux et de préserver leurs droits.
La décision de la Cour d’appel de Paris du 19 septembre 2024 illustre l’interprétation rigoureuse des dispositions de l’article 1722 du Code civil. Une inaccessibilité temporaire, même de plusieurs mois, ne suffit pas pour justifier la résiliation d’un bail commercial. Les locataires doivent donc s’assurer que leurs demandes reposent sur des fondements solides, tandis que les bailleurs doivent agir rapidement pour minimiser les perturbations.
Cette affaire souligne l’importance pour les parties d’un bail commercial de bien comprendre leurs droits et obligations respectifs afin de prévenir ou gérer efficacement les conflits. Les conseils d’un avocat spécialisé en droit des affaires s’avèrent indispensables pour sécuriser leurs intérêts.