Le Bouard Avocats
La réforme issue de l’ordonnance du 12 mars 2025 modifie en profondeur les règles applicables aux nullités en droit des sociétés, en unifiant le régime, en renforçant le rôle du juge et en limitant les nullités automatiques.
À retenir :
La réforme du régime des nullités en droit des sociétés, initiée par l’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025, marque un tournant majeur dans l’architecture juridique applicable tant aux sociétés civiles qu’aux sociétés commerciales. Attendue de longue date, cette révision a pour finalité de simplifier, unifier et sécuriser un droit parfois jugé complexe, voire instable. Elle entrera en vigueur le 1er octobre 2025, à l’exception de certaines dispositions différées au 1er janvier 2027.
La réforme découle de l’article 26 de la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024 dite « loi Attractivité ». Ce texte autorisait le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour simplifier et clarifier le régime des nullités en droit des sociétés. Objectif affiché : renforcer la sécurité juridique des actes sociaux, réduire les risques contentieux inutiles, et garantir une meilleure lisibilité du droit applicable aux acteurs économiques.
Jusqu’ici, le régime des nullités souffrait d’une dualité problématique entre droit civil et droit commercial. Désormais, l’ensemble des règles générales relatives aux nullités applicables aux sociétés, qu’elles soient civiles ou commerciales, sont regroupées au sein du Code civil, aux articles 1844-10 à 1844-17.
Désormais, la nullité d’une décision sociale — qu’elle modifie ou non les statuts — ne pourra être prononcée que dans deux cas limitativement énumérés :
👉 Référence : Article 1844-10 du Code civil, modifié par l’ordonnance du 12 mars 2025
L’innovation majeure réside dans la mise en place d’un « triple test » qui conditionne désormais toute action en nullité. Aux termes de l’article 1844-12-1 nouveau, le juge ne pourra prononcer la nullité que si :
Ce critère de proportionnalité, déjà amorcé par la jurisprudence (Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324), est désormais intégré dans le corps même du droit positif.
Lorsque la rétroactivité de la nullité d’une décision sociale risquerait de produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt social, le juge pourra en différer les effets. Ce mécanisme de tempérament vise à préserver la continuité de la vie sociale et à limiter les perturbations économiques résultant d’une annulation rétroactive.
Sauf disposition légale contraire, la nullité de la nomination ou du maintien irrégulier d’un organe ou de l’un de ses membres n’entraîne plus automatiquement la nullité des décisions prises par cet organe. Cela constitue un renversement de logique, visant à éviter les effets en cascade souvent sources d’instabilité.
👉 Références : Articles 1844-15-1 et 1844-15-2 du Code civil
Désormais, les statuts de SAS peuvent prévoir que les décisions sociales prises en violation des règles qu’ils énoncent soient susceptibles de nullité. Toutefois, cette nullité reste subordonnée au respect du triple test juridictionnel. Cette évolution répond à un besoin de souplesse, tout en évitant une multiplication des contentieux liés à des irrégularités formelles.
👉 Référence : Article L. 227-20-1 du Code de commerce
Autre changement notable : le délai de prescription de droit commun des actions en nullité est réduit de trois à deux ans. Ce raccourcissement vise à sécuriser rapidement les situations juridiques et à limiter les risques contentieux prolongés, source d’incertitude pour les associés et les tiers.
👉 Référence : Article 1844-14 du Code civil modifié
En rationalisant les cas de nullité, en encadrant strictement leur mise en œuvre et en conférant au juge un rôle d’arbitre éclairé, le nouveau régime ambitionne de préserver l’intérêt social tout en limitant les contentieux abusifs. C’est une réforme équilibrée, articulée autour de principes clairs :
La réforme des nullités en droit des sociétés constitue une avancée attendue et salutaire. En harmonisant les règles applicables aux sociétés civiles et commerciales, en renforçant la cohérence entre droit des contrats et droit des sociétés, et en instaurant une évaluation fine du grief, elle participe à la modernisation du droit des affaires français. À compter du 1er octobre 2025, les praticiens devront intégrer ces nouvelles exigences dans la rédaction des actes et la stratégie contentieuse, afin d’anticiper les risques et de sécuriser les décisions collectives. Un nouveau cadre, plus exigeant, mais plus protecteur.