Lorsqu’une société achève définitivement son existence, son mandataire ad hoc constitue un relais essentiel pour gérer les ultimes formalités, notamment fiscales. Après la clôture de la liquidation, la société, bien que dissoute, conserve dans certains cas une personnalité morale résiduelle, strictement circonscrite aux besoins de son extinction définitive. Dans ce contexte, l’administration fiscale doit impérativement s’assurer qu’elle s’adresse à un représentant habilité, sous peine de nullité des opérations subséquentes. L’enjeu est donc d’assurer la continuité d’une procédure régulière, malgré l’absence d’un organe social traditionnel.
Le mandataire ad hoc est une personne désignée par une juridiction afin de représenter une entreprise, une association ou une société en difficulté, notamment après sa liquidation. Contrairement à un dirigeant ou un liquidateur, il n’a pas vocation à gérer les opérations courantes, mais à remplir une mission précise dans un cadre juridiquement balisé.
Cette procédure, conçue pour répondre à une situation particulière, permet de préserver les intérêts de la structure disparue ou en état de cessation d’activité. Le mandataire ad hoc n’est donc pas un simple intervenant, mais le garant d’une représentation indispensable lorsque l’entité n’a plus d’organes sociaux en place.
La procédure de désignation d’un mandataire ad hoc se déroule par étapes clairement définies. Il s’agit d’une démarche qui requiert une certaine rigueur :
La procédure peut ainsi être rapide ou plus longue, selon la complexité du contexte et la qualité du dossier fourni.
La demande de désignation se concrétise par une requête formelle déposée auprès du président du tribunal compétent. Le requérant (l’administration fiscale, un créancier, ou un ancien associé) doit constituer un dossier complet, détaillant l’état actuel de la structure, la nature des difficultés rencontrées et les raisons pour lesquelles un mandataire ad hoc est nécessaire. Le président du tribunal, après étude du dossier, statue par une décision motivée. Cette étape est cruciale, car elle légitime la présence du mandataire ad hoc et confère à ce dernier l’autorité nécessaire pour accomplir sa mission.
Le demandeur d’un tel mandat peut être varié :
Ainsi, le champ des personnes habilitées à solliciter un mandataire ad hoc est relativement large, dès lors qu’elles justifient d’un intérêt légitime à obtenir cette désignation.
Les missions du mandataire ad hoc sont circonscrites et clairement définies par l’ordonnance de désignation. Il peut notamment :
Ces missions, exercées dans l’intérêt de la structure liquidée, visent à sécuriser les relations avec les tiers et à éviter des litiges coûteux ou interminables.
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La durée du mandat ad hoc n’est pas fixe. En pratique, le mandat est souvent accordé pour quelques mois renouvelables, en fonction de la complexité de la situation et des objectifs fixés. Le juge peut ainsi prolonger le mandat s’il constate que la mission initiale n’est pas encore achevée. L’idée est de s’adapter à l’état de cessation de l’entreprise ou à une éventuelle liquidation judiciaire, permettant au mandataire de finaliser sa mission dans des conditions optimales.
Cette souplesse dans la durée garantit que le mandataire ad hoc dispose du temps nécessaire pour mener à bien ses actions, sans pour autant maintenir artificiellement la structure dans un état de dépendance.
Le recours à un mandataire ad hoc présente de réels avantages pour les entreprises, sociétés ou associations en difficulté. En effet, cette procédure singulière offre un cadre structuré pour :
Le mandat ad hoc constitue un atout stratégique. Il intervient comme un outil de régulation, permettant de désamorcer des situations complexes, de restaurer un climat de confiance, et de faciliter une issue favorable à la fois pour l’administration, les anciens associés et les créanciers.
La désignation d’un mandataire ad hoc n’est pas automatique. Elle repose sur une appréciation minutieuse par le tribunal, lequel considère divers critères afin de s’assurer que la demande est justifiée. Parmi ces éléments figurent :
Ces critères visent à garantir que la désignation du mandataire ad hoc n’est pas un acte vain, mais bien une décision utile et proportionnée, destinée à sécuriser et faciliter la résolution des difficultés rencontrées.
La dissolution d’une société, qu’elle soit commerciale ou civile, n’entraîne pas immédiatement la disparition de sa personnalité morale. L’article 1844-8 du Code civil précise à ce titre :
« La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci. »
Ainsi, malgré la dissolution, la société reste dotée d’une personnalité juridique résiduelle, le temps d’achever la liquidation. Cette période permet de solder les actifs, d’apurer le passif et de répartir le solde entre associés. Toutefois, une fois la clôture de la liquidation publiée, la disparition de la personnalité morale devient effective.
À partir de ce moment, il n’existe plus de dirigeant, ni de liquidateur, sauf décision expresse contraire. Cette absence de représentation légale soulève une difficulté majeure si l’administration fiscale souhaite encore intervenir : à qui notifier des actes de procédure, telles qu’une proposition de rectification ?
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Le liquidateur, désigné lors de la dissolution, assume la gestion de la société pendant tout le processus de liquidation. Jusqu’à la publication de la clôture, il représente la société et peut être considéré comme le destinataire légitime des demandes, relances ou contrôles de l’administration fiscale. Le Code civil prévoit expressément cette fonction de représentation transitoire. Toutefois, une fois la liquidation clôturée et publiée, le mandat du liquidateur prend fin. Il n’est plus l’interlocuteur de l’administration ni des tiers, à moins qu’une décision spécifique des associés ou une clause statutaire n’ait prolongé ses pouvoirs.
Il en résulte une situation singulière : alors que la société n’existe plus en tant que structure économique opérationnelle, des enjeux fiscaux ou juridiques peuvent persister. Ces derniers ne peuvent être traités sans une figure représentant légitimement la société disparue.
À l’issue de la publication de la clôture de la liquidation, la société, désormais radiée du RCS, ne dispose plus d’organe de représentation. Or, l’administration fiscale peut encore avoir besoin d’adresser des actes de procédure pour solder certains aspects restés en suspens.
Selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, lorsqu’une procédure de vérification fiscale est initiée ou se poursuit après la clôture de la liquidation, la nécessité d’un mandataire ad hoc s’impose. Ce représentant, désigné par la juridiction judiciaire, constitue la seule personne habilitée à recevoir une nouvelle proposition de rectification ou toute autre pièce de procédure à l’égard de la société disparue.
L’intervention d’un mandataire ad hoc n’est pas une simple formalité. Elle vise à garantir que les opérations de contrôle fiscal seront conduites dans le respect des droits de la défense et des exigences procédurales. Sans mandataire désigné, tout acte notifié à un prétendu représentant inexistant (par exemple, l’ex-liquidateur) se trouve vicié. Ce défaut de diligence de la part de l’administration peut conduire à l’annulation de la procédure, générant une insécurité juridique et financière.
La proposition de rectification constitue un acte clé dans la procédure de redressement fiscal. Elle doit être régulièrement notifiée au représentant légal de la société. Avant la clôture de la liquidation, le liquidateur assurait ce rôle, mais après cette clôture, seul le mandataire ad hoc peut incarner ce représentant légal évanescent.
Le Conseil d’État, dans une décision du 19 juillet 2024, a rappelé clairement ce principe. Il a jugé que, faute d’avoir sollicité la désignation d’un mandataire ad hoc, l’administration ne pouvait valablement notifier une proposition de rectification à l’ancienne société dissoute. En d’autres termes, tant que ce nouveau mandataire n’est pas en place, toute nouvelle pièce de procédure est irrégulière.
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L’absence de mandataire ad hoc entraîne, à court terme, l’impossibilité pour l’administration de valablement poursuivre ses opérations. Si, par mégarde, une proposition de rectification est émise sans avoir pris soin de désigner un tel représentant, le contribuable (ou l’ancien associé) pourra contester la régularité de la procédure. Les conséquences peuvent être multiples :
Le défaut de désignation d’un mandataire ad hoc se traduit par une paralysie de la procédure fiscale, pouvant mettre en échec les actions du fisc.
La désignation du mandataire ad hoc incombe à la juridiction judiciaire compétente. Cette demande peut être initiée :
En pratique, l’administration est souvent à l’initiative de la demande, car elle a tout intérêt à sécuriser son action. Les anciens associés, quant à eux, peuvent estimer nécessaire de disposer d’un interlocuteur légitime pour répondre aux éventuelles sollicitations du fisc.
Le mandat ad hoc étant à la fois temporaire et spécifique, le juge s’efforce de désigner une personne :
Le mandataire ad hoc peut être un avocat, un administrateur judiciaire ou tout autre professionnel qualifié, dès lors que le juge estime qu’il est apte à assurer la représentation de la société disparue.
Le mandat conféré est strictement circonscrit :
Ce caractère temporaire du mandat ad hoc garantit qu’il n’y a pas de confusion sur le statut de la société et que la procédure demeure ciblée sur les points fiscaux restants.
Imaginons une Société Civile Immobilière (SCI), radiée du RCS suite à sa liquidation. Quelques mois plus tard, l’administration s’aperçoit que certains revenus fonciers ont été minorés. Elle souhaite notifier une proposition de rectification aux anciens associés, proportionnellement à leur quote-part. Or, faute de mandataire ad hoc, toute notification adressée directement à l’ancien liquidateur est irrégulière. Les anciens associés, s’ils contestent la régularité de la procédure, peuvent obtenir une annulation pure et simple de l’opération.
C’est précisément ce qu’a jugé le Conseil d’État dans sa décision du 19 juillet 2024. Le juge administratif a rappelé que, après la clôture de la liquidation, seul un mandataire ad hoc dûment désigné permet de maintenir la validité des notifications.
La haute juridiction administrative, depuis plusieurs années, réaffirme ce principe. Une décision du Conseil d’État du 2 juin 2010 puis une autre du 3 octobre 2016 avaient déjà établi les fondements de cette obligation procédurale. Le cas de 2024 n’est qu’un nouvel exemple de la cohérence et de la constance de la jurisprudence en la matière.
Les points fondamentaux dégagés par la jurisprudence peuvent être résumés ainsi :
Les avocats en droit des entreprises en difficultés à Versailles, experts-comptables et conseillers fiscaux doivent être particulièrement vigilants sur ce point. La régularité des actes de l’administration dépendra :
Ainsi, un praticien averti s’assurera, avant toute contestation ou réception d’acte, de vérifier la qualité du destinataire et la conformité procédurale du mandat ad hoc.
Les associés et le liquidateur, en anticipant la fin des opérations de liquidation, peuvent prévoir dans l’acte de clôture ou dans une décision ad hoc, la désignation préalable d’une personne apte à représenter la société sur les plans fiscal et juridique postérieurs. Il n’est pas toujours possible, ni prudent, de laisser la société sans interlocuteur au moment où le fisc pourrait se manifester. Cette anticipation facilite la vie des parties et limite les contestations ultérieures.
De son côté, l’administration fiscale a tout intérêt à entamer un dialogue avec les anciens associés avant de lancer une demande de désignation du mandataire ad hoc. Cette communication peut prendre la forme d’un courrier informant les anciens associés de la nécessité de mettre en place un tel mandataire, afin de permettre une résolution rapide et efficace des opérations de contrôle en suspens.
La mise en place formelle du mandataire ad hoc se matérialise généralement par une décision judiciaire. Disposer d’une copie de cette décision, dûment publiée ou notifiée, est essentiel pour éviter toute contestation de qualité. La clarté sur ce point limite le risque de voir la procédure remise en cause ultérieurement. De plus, il peut être opportun de :
La désignation d’un mandataire ad hoc après la clôture de la liquidation d’une société s’impose comme une condition incontournable de la régularité des opérations fiscales subséquentes. Cette exigence, clairement énoncée par la jurisprudence et fondée sur une lecture stricte du Code civil, sert un double objectif :
Sans cette précaution, la procédure se fragilise, ouvrant la porte à des contestations procédurales susceptibles d’annuler les redressements fiscaux. Dès lors, il est dans l’intérêt de toutes les parties – administration, anciens associés, praticiens du droit – de comprendre et d’intégrer cette obligation. Anticiper la nécessité d’un tel mandat, communiquer en amont et consigner les décisions judicieusement sont autant de leviers pour assurer le bon déroulement des opérations fiscales résiduelles.
En définitive, le mandataire ad hoc incarne le dernier garant de la régularité procédurale d’une société ayant cessé d’exister. Il est le pivot autour duquel s’articule la confrontation entre l’intérêt fiscal de l’État et le droit à une procédure équitable des anciens associés. Loin d’être une formalité accessoire, sa désignation est devenue un impératif stratégique, afin que la liquidation soit réellement, et définitivement, le dernier acte de la vie sociale d’une entité.