November 21, 2024

Le Bouard Avocats

Fraude au président : la banque face à une obligation renforcée de vigilance

La fraude au président, un phénomène en forte recrudescence, met en lumière les responsabilités des banques en matière de vigilance face à des virements douteux. La récente décision de la Cour de cassation (Cass. com., 2 octobre 2024, n° 23-13.282) a confirmé que les banques doivent s'assurer directement auprès du dirigeant de la régularité des ordres de virement en présence d'anomalies apparentes. Cet arrêt illustre l'équilibre entre l'obligation de vigilance des établissements bancaires et la non-ingérence dans les affaires de leurs clients.

Comprendre la fraude au président : mécanisme et enjeux

La fraude au président repose sur un stratagème bien connu des escrocs. Elle consiste à usurper l'identité d'un dirigeant d'entreprise pour inciter un salarié, souvent un comptable, à effectuer des virements frauduleux. Ce type de fraude exploite la hiérarchie interne des entreprises et la rapidité d'exécution des ordres.

Les caractéristiques principales de cette fraude :

  • Une usurpation d’identité convaincante via des e-mails ou des appels téléphoniques.
  • Une pression exercée sur le salarié pour effectuer rapidement le virement.
  • Des virements destinés à des comptes situés à l’étranger, souvent hors de l’espace économique habituel de l’entreprise.

Ces fraudes, en plus des pertes financières directes, peuvent entraîner des coûts indirects importants, tels qu’une atteinte à la réputation de l’entreprise et des litiges longs et coûteux.

L'obligation de vigilance de la banque face aux anomalies apparentes

En vertu de l’article L. 133-16 du Code monétaire et financier, les banques doivent veiller à l’exécution des ordres de paiement dans des conditions conformes à la loi. Cette obligation s’étend au-delà des simples vérifications de routine, notamment en cas d’anomalies apparentes dans les mouvements de comptes.

fraude au président

Dans l’affaire Banque CIC Nord-Ouest c. société Le Cerf & Bachelet, la Cour de cassation a retenu plusieurs indices justifiant une suspicion de fraude :

  • La fréquence rapprochée et inhabituelle des virements.
  • Des montants élevés par rapport aux habitudes de l’entreprise.
  • L'absence de relations d’affaires avec les bénéficiaires des virements.
  • La destination des fonds vers un pays étranger hors du périmètre d'activité habituel de l’entreprise.

Ces éléments, considérés individuellement ou ensemble, auraient dû alerter la banque et la pousser à vérifier la validité des ordres de paiement directement auprès du dirigeant.

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La jurisprudence constante : une vigilance accrue en cas de fraude

L’arrêt du 2 octobre 2024 s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure. La Cour de cassation avait déjà affirmé, dans un arrêt du 14 février 2024 (n° 22-11.654), que les banques doivent vérifier la régularité apparente des ordres de paiement, notamment lorsque les mouvements de compte révèlent des anomalies matérielles ou intellectuelles.

Les grands principes jurisprudentiels établis :

  1. Une anomalie apparente oblige la banque à prendre des mesures raisonnables pour s'assurer de la validité des ordres.
  2. Le devoir de vigilance s’impose particulièrement lorsque des circonstances inhabituelles entourent les transactions.
  3. Une simple confirmation par un salarié subalterne ne suffit pas ; la validation doit être obtenue auprès du dirigeant habilité.

Dans le cas de la fraude au président, cette vigilance est d’autant plus cruciale que seul le dirigeant peut authentifier la véracité des ordres. N'hésitez pas à demander les conseils d'un avocat en droit des affaires à Versailles.

Les limites de la responsabilité bancaire : un partage des fautes

Dans cette affaire, la Cour de cassation a condamné la banque à hauteur de 50 % de la somme fraudée, soit 1 060 951,90 €. Elle a cependant reconnu une faute partielle de la société victime, en raison d'un manque de vigilance interne.

Les facteurs ayant contribué à cette décision :

  • L’absence de procédure stricte de validation des virements au sein de l’entreprise.
  • La négligence de la société dans la formation de ses salariés face aux risques de fraude.
  • L'usage non contrôlé des dispositifs de sécurité, tels que les cartes de validation.

Cette décision illustre la liberté d’appréciation laissée aux juges pour évaluer la répartition des responsabilités entre la banque et son client.

Les évolutions législatives : vers un régime protecteur pour les victimes

La législation encadrant les paiements a évolué avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, qui modifie l'article L. 133-1 du Code monétaire et financier. Depuis le 13 janvier 2018, le régime de responsabilité en cas d'opérations non autorisées s’applique quelle que soit la devise concernée, dès lors que l’un des prestataires de services de paiement est situé dans l’Union européenne.

Cependant, pour les virements hors zone SEPA, comme dans le cas présent, les règles spécifiques restent applicables, et la responsabilité est examinée selon le droit commun. Cette distinction complexe impose aux entreprises de redoubler de vigilance pour éviter les litiges coûteux.

Les enseignements pratiques pour les entreprises

Pour limiter les risques de fraude et réduire les contentieux avec les banques, il est essentiel pour les entreprises de mettre en place des procédures rigoureuses.

Mesures préventives recommandées :

  • Adopter des processus internes de double validation : les ordres de virement doivent être approuvés par plusieurs personnes, dont le dirigeant.
  • Former les salariés : sensibiliser les équipes aux méthodes utilisées dans les fraudes au président.
  • Utiliser des dispositifs de sécurité robustes : privilégier des outils nécessitant une authentification forte (biométrie, doubles facteurs).
  • Surveiller les transactions inhabituelles : instaurer une alerte automatique pour tout virement sortant des habitudes.

Les obligations de la banque : une vigilance renforcée

La décision de la Cour de cassation rappelle avec force que les banques doivent aller au-delà d’un contrôle de surface en cas de suspicion de fraude. Le contact direct avec le dirigeant devient une obligation incontournable, sous peine d'engager leur responsabilité.

Conclusion : un cadre juridique en constante évolution

L’arrêt du 2 octobre 2024 marque une étape importante dans la protection des entreprises contre la fraude au président. Il souligne l’importance d’un partenariat vigilant entre les entreprises et les banques, fondé sur la confiance et des procédures strictes.

Face à une jurisprudence en constante évolution et à des risques croissants, il est essentiel pour les acteurs économiques de s’adapter. Les banques, quant à elles, doivent intégrer ces exigences pour garantir la sécurité des transactions tout en limitant leur propre exposition juridique.