Le Bouard Avocats
La cession de droits sociaux pose des questions spécifiques lorsque la forme juridique de la société a changé juste avant la transaction. À ce titre, un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 décembre 2024 illustre les enjeux : l’administration fiscale avait procédé à un rappel de droits d’enregistrement, au motif que la transformation d’une société en une autre forme n’avait pas été publiée au registre du commerce et des sociétés (RCS). Il s’agissait de vérifier si l’absence de publicité de cette opération rendait la nouvelle forme inopposable au fisc et justifiait l’application d’un taux différent de droits. Les juges de la Haute Juridiction ont précisé que la date de la transformation, et non celle de la publicité, déterminait la nature des titres cédés au moment du transfert de propriété. Cette solution éclaire utilement les praticiens du droit des sociétés et du droit fiscal, et souligne la nécessité de se concentrer sur la situation juridique réelle plutôt que sur sa seule opposabilité formelle.
Les dispositions de l’article [[726 du Code général des impôts]] distinguent le régime des cessions selon la forme de la société. Ainsi :
Au plan pratique, transformer une SARL en SAS juste avant la cession des titres peut permettre d’alléger le coût fiscal de l’opération, sous réserve de ne pas se trouver dans une situation qualifiée d’abus de droit.
Dans l’affaire jugée le 18 décembre 2024, une SARL a été transformée en société par actions simplifiée (SAS). Le lendemain de cette transformation, l’ensemble des droits sociaux a été cédé. L’acquéreur a soumis l’acte de cession au service de l’enregistrement, appliquant le taux prévu pour les cessions d’actions. L’administration fiscale, apprenant que la transformation n’avait pas encore été publiée au RCS à la date de l’enregistrement, a considéré que la mutation portait en réalité sur des parts sociales. Elle a donc notifié un rappel de droits, estimant que l’opération relevait du tarif applicable aux SARL.
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Saisie du litige, la cour d’appel a validé la position de l’administration fiscale en jugeant que la transformation de la société n’était pas opposable à l’Administration, dès lors qu’elle n’avait pas été publiée au RCS à la date de la cession. Les juges d’appel se sont appuyés sur des dispositions du Code de commerce relatives à la publicité, estimant que l’opposabilité du changement de forme n’existait qu’après mention au RCS.
La Cour de cassation, dans l’arrêt du 18 décembre 2024, a cassé cette analyse. Elle a rappelé que la détermination des droits d’enregistrement dépendait de la nature juridique des titres au moment du transfert de propriété, et non de la date de publication de la transformation. Ainsi, dès lors que la société avait effectivement changé de forme en SAS avant la cession, les titres cédés constituaient des actions et non des parts sociales, peu important que l’accomplissement des formalités RCS soit intervenu ultérieurement.
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Aux termes de la décision, la Cour de cassation consacre la prévalence de la situation juridique intrinsèque : si la transformation a été décidée et réalisée par les organes compétents de la société (assemblée générale extraordinaire), les droits sociaux changent de nature au moment où cette transformation prend effet, même si l’inscription au RCS n’est pas encore parue. L’inscription ou la mention au registre du commerce et des sociétés répond à une exigence d’opposabilité vis-à-vis des tiers, mais ne conditionne pas la réalité même de la modification statutaire.
Le fisc ne peut donc soutenir que l’absence de publication rend la nouvelle forme inopposable, car l’article [[726 du Code général des impôts]] exige seulement que l’on identifie la forme juridique réelle de la société à la date du fait générateur, c’est-à-dire au moment du transfert de propriété. Cette clarification est d’autant plus significative que certaines transformations s’effectuent très rapidement pour optimiser le taux d’enregistrement, sans pour autant être constitutives d’un abus de droit si la société ne revient pas ultérieurement à son ancien statut.
Le fait générateur des droits d’enregistrement correspond à la date effective de la cession, ce qui varie en fonction de la nature juridique des titres. Pour des parts sociales, l’article [[1583 du code civil]] permet de considérer que la propriété est transférée dès l’échange des consentements sur la chose et le prix, sauf convention contraire. Pour des actions non cotées, la date de transfert résulte souvent d’une mention sur le registre des mouvements de titres ou d’une inscription dans un dispositif électronique partagé, en application de l’article [[R228-10 du code de commerce]] ou de l’article [[L228-1, al. 9]] relatif à la blockchain.
Il est parfois tentant, pour les associés, de procéder à une transformation juste avant la cession pour bénéficier du taux d’enregistrement applicable aux actions. Les arrêts antérieurs, notamment ceux de la Cour de cassation du 10 décembre 1996 ou du 25 juin 2003, indiquent cependant que cette stratégie n’est pas, en soi, un abus de droit si la société ne retrouve pas sa forme initiale immédiatement après la transaction. La doctrine administrative admet que le seul fait de vouloir diminuer le taux de droit d’enregistrement ne suffise pas à qualifier l’abus. Ce raisonnement se trouve conforté par l’arrêt du 18 décembre 2024, qui reconnaît que l’on doit appliquer le régime conforme à la forme de la société réellement déterminée à la date de la cession.
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Un praticien du droit des affaires voudra s’assurer que les statuts modifiés précisent clairement la date à laquelle la transformation prend effet. Si la transformation est réputée prendre effet lors de l’assemblée générale, elle est valable immédiatement. La publication ultérieure au RCS ne conditionne pas cette validité interne. Il reste toutefois opportun, pour des questions de sécurité juridique, d’accomplir rapidement les formalités de publicité.
Pour éviter toute contestation ultérieure de l’administration fiscale, il convient de stipuler dans l’acte de cession la date exacte à laquelle intervient le transfert de propriété. Dans le cas des actions, la mention d’une inscription sur le compte-titres ou dans un registre électronique, effectuée à une date précise, clarifie le moment où la cession prend effet.
Un dossier bien préparé doit comprendre :
La décision de la chambre commerciale du 18 décembre 2024 s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence visant à faire primer la réalité juridique sur l’opposabilité formelle de la transformation. L’arrêt confirme que l’administration fiscale ne peut requalifier une cession en parts sociales si, en réalité, la société avait adopté la forme de SAS avant la date de transfert de propriété, indépendamment de la publication tardive de la modification statutaire au RCS.
Pour les avocats en droit des affaires et droit des sociétés, ce revirement sonne comme une invitation à soigner la rédaction des actes, à documenter la date de prise d’effet de la transformation et à clarifier la chronologie des événements. L’administration dispose toujours de la faculté de vérifier la cohérence de la démarche, mais la seule absence de publicité au registre ne saurait priver les associés du bénéfice du taux applicable aux cessions d’actions. Cette solution rappelle, enfin, que l’on doit toujours raisonner selon les dispositions du Code général des impôts telles qu’elles s’appliquent au jour de la cession, et non selon les formalités d’opposabilité qui peuvent s’effectuer ultérieurement.