January 31, 2025

Le Bouard Avocats

Bail commercial et compétence territoriale : Peut-on contractuellement y déroger ?

📌 Ce qu’il faut retenir sur la compétence territoriale en bail commercial

  • Une dérogation possible sous conditions : Les parties, si elles sont commerçantes, peuvent insérer une clause attributive de compétence à condition qu’elle soit très apparente dans le contrat.
  • Une règle d’ordre public avec exceptions : En principe, le juge compétent est celui du lieu où se situe l’immeuble (article R. 145-23 du Code de commerce). Toutefois, l’article 48 du Code de procédure civile permet d’y déroger si les conditions sont respectées.
  • Validation jurisprudentielle : La Cour d’appel de Paris a confirmé la validité de telles clauses (arrêts du 24 octobre 2024, n° 24/11779 et n° 24/11828), revenant sur la position plus restrictive du tribunal judiciaire de Paris.

Bail commercial et compétence territoriale : Peut-on contractuellement y déroger ?

Le bail commercial est un contrat structurant essentiel pour toute activité commerciale ou artisanale. Il est soumis à des règles strictes, notamment en ce qui concerne la compétence territoriale des juridictions en cas de litige. Traditionnellement, l'article R. 145-23 du Code de commerce attribue cette compétence au tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble loué. Toutefois, une récente jurisprudence a confirmé qu'il est possible, sous certaines conditions, d'y déroger contractuellement.

Dans cet article, nous explorerons les implications de cette évolution, les conditions de validité d’une clause attributive de compétence dans un bail commercial, ainsi que les conséquences pratiques pour les parties prenantes.

Le principe général de compétence territoriale en matière de bail commercial

La règle d’ordre public de l’article R. 145-23 du Code de commerce

Le droit français fixe un cadre rigoureux pour la compétence territoriale en matière de bail commercial. L’article R. 145-23 du Code de commerce dispose que :

« La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble. »

Cette règle s’applique à toutes les contestations relatives aux baux commerciaux, qu’il s’agisse :

  • de la fixation du loyer lors d’un renouvellement ou d’une révision du bail,
  • d’un contentieux lié à l'exécution du contrat (paiement des loyers, résiliation du bail commercial pour faute),
  • de l’acquisition de la clause résolutoire,
  • d’un litige relatif à l’indemnité d’éviction.

Cette disposition a longtemps été perçue comme d’ordre public, rendant toute clause attributive de juridiction nulle et non avenue. Cependant, une évolution jurisprudentielle a progressivement assoupli cette position.

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L’exception reconnue par la jurisprudence : la clause attributive de compétence

Une dérogation possible entre commerçants sous conditions

L’article 48 du Code de procédure civile permet aux parties contractant en qualité de commerçants d’insérer une clause attributive de compétence territoriale, sous réserve qu’elle soit spécifiée de façon très apparente dans le contrat.

Ainsi, si bailleur et locataire ont tous deux la qualité de commerçant, ils peuvent convenir contractuellement d’attribuer la compétence à un autre tribunal que celui du lieu de situation de l’immeuble, à condition que cette clause soit explicite et bien mise en évidence dans le contrat.

La Cour d’appel de Paris a récemment confirmé cette possibilité dans son arrêt du 24 octobre 2024, précisant que :

« La clause attributive de compétence stipulée dans un bail commercial entre deux commerçants est valable dès lors qu’elle est spécifiée de façon très apparente dans l’acte. »

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bail commercial et compétence territoriale

L’interprétation stricte des juridictions

Malgré cette ouverture, les tribunaux restent stricts sur l’application de cette exception. Pour être valide, la clause doit remplir plusieurs conditions cumulatives :

  • Elle doit être lisible et claire : une clause noyée dans un contrat volumineux sans mise en évidence peut être déclarée non écrite.
  • Elle doit être convenue entre commerçants : si le locataire est une personne physique n’ayant pas la qualité de commerçant, la clause sera écartée.
  • Elle ne doit pas créer un déséquilibre manifeste : une clause imposant un tribunal éloigné du lieu d’exploitation du commerce pourrait être contestée sur le fondement du principe de proportionnalité.

Les juges évaluent donc au cas par cas si cette clause respecte ces principes avant d’en valider la portée.

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Conséquences pratiques pour les parties contractantes

Avantages et inconvénients d’une clause dérogatoire de compétence

L’insertion d’une clause attributive de compétence dans un bail commercial présente divers avantages et inconvénients pour les parties.

✅ Avantages pour le bailleur :

  • Permet de choisir une juridiction plus favorable ou spécialisée dans les baux commerciaux.
  • Évite les contentieux dans des tribunaux encombrés ou perçus comme moins prévisibles.
  • Facilite la gestion des contentieux lorsque le bailleur possède plusieurs biens dans différentes juridictions.

❌ Inconvénients pour le locataire :

  • Oblige à se défendre devant un tribunal éloigné de son lieu d’activité.
  • Génère des coûts supplémentaires (déplacements, avocats spécialisé en bail commercial, procédures).
  • Peut constituer un déséquilibre contractuel, surtout si la clause est imposée sans réelle négociation.

Stratégie contractuelle : comment rédiger une clause valide ?

Pour éviter tout risque de nullité, la clause attributive de compétence doit être rédigée avec précision et respecter certaines règles :

  • Mention explicite et mise en valeur : elle doit être clairement identifiable dans le contrat (ex. : en caractères gras, en encadré).
  • Formulation sans ambiguïté :

« Tout litige relatif à l’interprétation et à l’exécution du présent bail sera soumis à la compétence exclusive du Tribunal judiciaire de Paris. »

  • Vérification de la qualité des parties : la clause ne sera valable que si bailleur et preneur ont tous deux la qualité de commerçants.

Une mauvaise rédaction de cette clause peut entraîner son inopposabilité et contraindre le bailleur à saisir le tribunal du lieu de situation de l’immeuble.

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L’évolution du débat jurisprudentiel et perspectives

Divergences d’interprétation entre tribunaux

Bien que la Cour d’appel de Paris ait confirmé la possibilité de déroger à la compétence territoriale en matière de bail commercial, certains tribunaux, comme le Tribunal judiciaire de Paris, ont dans un premier temps contesté cette approche.

En effet, dans plusieurs décisions rendues en 2024, ce dernier a jugé que la clause attributive de compétence devait être réputée non écrite, estimant que :

  • La règle de l’article R. 145-23 du Code de commerce était d’ordre public.
  • La proximité géographique du tribunal du lieu de l’immeuble garantissait une meilleure efficacité du contentieux.

Cependant, l’arrêt du 24 octobre 2024 de la Cour d’appel de Paris est venu confirmer l’application de l’article 48 du Code de procédure civile, entérinant la possibilité d’une clause dérogatoire sous conditions.

Quelles perspectives pour les praticiens du droit ?

Face à cette évolution, les avocats en droit des affaires doivent :

  • Anticiper les contentieux en s’assurant que la clause attributive de compétence est bien rédigée et mise en évidence.
  • Conseiller leurs clients commerçants sur l’opportunité ou non d’insérer une telle clause dans un bail commercial.
  • Rester attentifs aux décisions de la Cour de cassation, qui pourrait être amenée à se prononcer sur cette question dans un futur proche.

Conclusion

Si l’article R. 145-23 du Code de commerce fixe un principe de compétence territoriale fondé sur le lieu de situation de l’immeuble, la jurisprudence a progressivement admis la possibilité d’y déroger sous conditions.

L’insertion d’une clause attributive de compétence peut constituer un levier stratégique pour les bailleurs, mais elle doit être rédigée avec rigueur afin d’éviter toute contestation. La question demeure évolutive et il conviendra de suivre les futures décisions de la Cour de cassation, qui pourraient définitivement trancher cette problématique.